Camille Bardin, critique d'art indépendante, présidente de JEUNES CRITIQUES D'ART
Il y a des textes qui s’écrivent d’une traite, certains qu’on accouche laborieusement et d’autres, comme celui-ci, qui ne veulent pas sortir. Pourtant quand Julia Genet m’a confié son travail, il m’a d’abord semblé que cela allait être assez simple, que, sans à-coups, les idées allaient apparaître et que les mots viendraient avec. Il faut avouer que c’est tout l’inverse qui se produit puisque voici la quatrième fois que je recommence ce texte. Il doit bien avoir une raison à cela. Écrire est mon métier et s’il m’arrive de devoir prendre un peu plus de temps pour rédiger certains textes c’est la première fois que je suis contrainte d’appeler une artiste pour lui faire part de mon incapacité à esquisser ne serait-ce qu’un paragraphe. Cela fait trois semaines aujourd’hui que je pinaille et me voilà forcée de me rendre à l’évidence : le travail de Julia Genet met à mal nos certitudes, il interroge la justesse avec laquelle on appréhende le monde et la manière dont on l’habite. Mon statut de critique d’art ne m’a pas permis d’en être exempte. J’ai été mise face à mes propres doutes.
Il faut dire que si Julia Genet s’attache ainsi à mettre en exergue la faillibilité de nos sens c’est qu’elle l’a expérimentée dans sa propre chaire, en 2019, lorsqu’on lui apprend qu’une tumeur cérébrale s’étend dans l’une de ses loges caverneuses et que sa vue, la première, en pâtit. Elle s’obstrue et se détériore à mesure que le temps passe et que l’excroissance s’étend. Si la tumeur est bénigne elle aura donc quand même emporté avec elle son acuité visuelle. Mais il me semble que dans ce que certain.es qualifieraient d’épreuve, Julia Genet a choisi d’opter pour une approche stoïcienne. Cette vue nouvelle elle décide de la faire sienne. Pour cela, quoi de plus naturel de faire ce qu’elle a toujours fait ? Des images. Une manière de sublimer le traumatisme et avec, un moyen de tisser un lien avec les autres, de leur faire comprendre ce que désormais elle voit.
L’artiste glane alors dans ses souvenirs, elle sélectionne d’anciennes prises de vue et en saisit de nouvelles. Puis elle les agrandit ou en choisit des fractions afin de bouleverser leur aspect. Si bien qu’il semblerait que de celles-ci s’échappent des volutes de fumées, ou que des vues cosmiques y ont été projetées. Mais ici il n’y a aucun travail de montage photographique. Les images ce sont ses matériaux et elle les travaille comme un sculpteur caresserait la glaise. Elle y appose des minéraux ou toutes sortes de matériaux obscurcissants tel que la poudre de marbre, la cire ou le gofun. Ici on distingue un œil entrouvert, là-bas une nuque qui se courbe. Les images se brouillent, ça dégouline, ça transparaît et disparaît. Ces couches sont autant de séparations entre les regardeurses et le sujet. Je dirai même que ce sont ces couches le sujet de ces œuvres. Certes, toutes ces photographies sont issues des archives personnelles de Julia Genet et les personnes qu’elles figurent sont toutes des femmes que l’artiste a connues ou connait. Evidemment, il fallait qu’elle les ait vues. Mais elles ne comptent pas plus que cela. L’importance ici ce sont ces caches, ces écrans, ces obstacles qui perturbent notre vision et interdisent notre accès à ce qui est recouvert.
Julia Genet nous met face aux capacités lacunaires de nos sens. Si notre réalité changeait du jour au lendemain ? Si même en frottant ses paupières, les formes ne cessaient de glisser devant nos rétines ? Et puis, serait-ce notre perception qui aurait muté ou les choses elles-mêmes qui ne seraient plus similaires à ce qu’elles étaient la veille ? Ces crispations ne sont pas l’apanage de notre époque. Aujourd’hui encore on se raccroche tant bien que mal au cogito ergo sum. Les plus consciencieux.ses d’entre nous remarqueront d’ailleurs les titres de ces œuvres. Leur somme forme une phrase : « Cela leur est apparu ainsi. Ceux qui sont en désaccord à ce sujet sont dans le doute. lls n’ont aucune certitude et ne suivent que des conjectures. » Elle est issue des versets 157 et 158 de la quatrième sourate du Coran. Un texte qui malgré son caractère sacré n’échappe pas aux doutes des profanes. Cela leur est apparu ainsi. Mais qu’est-ce que cela signifie ? Qu’il s’agissait là d’un leurre ? Que leurs yeux les ont trompé.es et induit. es en erreur ? Sont-iels au contraire les seul.es lucides ? Ne cherchez pas. Le travail de Julia Genet n’apporte pas de réponses. Au contraire, il convoque une multitude de questions qui m’ont moi même laissée pantoise.
Je m’interroge sur la notion de réalité depuis la découverte d’une tumeur cérébrale qui altère ma vue. Il s’agit de partager ma vision, mon expérience d’une vue troublée mais aussi questionner nos sens, messagers extérieurs, principaux vecteurs du monde du dehors.
Questionner la réalité
Si la réalité, qui existe indépendamment du sujet et n’est pas le produit de la pensée, est perçue principalement par la vue qui peut cependant varier ou nous induire en erreur, comment pouvons-nous appréhender le réel, nous y fier ?
Je vous invite à me contacter à contact@juliagenet.com pour connaître les oeuvres disponibles et la liste de prix.
à bientôt !